Extrait d’un dialogue lambda :
«[…]
-T’as pas facebook ?(!)
-Non, je n’utilise pas fessesbook*
[…]»
* véridique, je le pense comme ça en le disant, vu le niveau de flicage c’est comme si on était nu⋅e.
Séquence qui se répète très régulièrement – il faut dire que chez les étudiant⋅es on approche des 90% de comptes… Et je fais quasi-systématiquement la remarque «je n’utilise pas».
Pourquoi ?
«T’as pas Facebook»
C’est marrant cette expression, qui est passée dans le langage courant.
On parle donc d’«avoir» un compte (et tout ce qui va avec).
On parle donc de possession, de contrôle. D’être maître de son compte.
Moi je parle d’utiliser. Pourquoi ?
Facebook, c’est un service qu’on utilise contre nos données personnelles (et celles de nos proches au passage) afin les fournir aux clients de Facebook, les annonceurs, qui ensuite nous font payer une deuxième fois en affichant de la pub (tout en payant Facebook).
Oui, la double peine, ce n’est «gratuit» qu’en apparence.
Autrement dit on ne fait qu’utiliser un service, en payant de nos données et via affichage publicitaire (le temps de cerveau disponible), et sur lequel on n’a aucune prise, dans les conditions et selon le bon vouloir de l’entreprise qui le gère (modulo quelques conditions légales plus ou moins respectées – coucou le RGPD).
On ne maîtrise pas les données qu’on laisse dessus (quand on les connaît !), ce qui nous est affiché (selon les choix de l’entreprise, inscris dans son algorithme). Si le compte est suspendu/supprimé on perd ce qu’on a déposé sur la plateforme, ses liens sociaux, tous les usages développés sur la plateforme, parfois le seul moyen de contact de connaissances.
Parce que c’est bien une plateforme, on n’en est pas propriétaire, on ne la contrôle pas, même de loin : le seul ersatz de gouvernance c’est la pression massive des utilisateurs/utilisatrices qui peut vaguement faire bouger les lignes. Et encore, que si ça risque de coûter cher (parce que perte d’utilisateurs/utilisatrices, ou d’image): l’affaire Cambridge Analytica en est l’exemple flagrant.
Au mieux on pourrait considérer ça comme un outil, un compte Facebook. Mais que dire d’un outil qui se sert de vous pour alimenter le « service » qu’il propose, et qui se sert de vos données personnelles comme marchandise pour se rémunérer ?
J’en resterai au «compte sur une plateforme qui nous est disponible en échange de nos données et de temps de cerveau disponible».
«T’as pas»
Sans parler de son aspect matérialiste, de la «possession» de quelque chose, cette expression donne une impression -illusoire- de contrôle pour celui ou celle qui «a» un compte.
Et à l’inverse, pour celui ou celle qui «n’a pas», une impression -artificielle- de manque, parfois presque un reproche, quelque chose de socialement anormal. Il te manque un truc, toi.
On dirait presque que Facebook est perçu comme un objet de la vie courante (sous-entendu indispensable, sauf à y perdre beaucoup, à « manquer » (de) quelque chose).
Prenons les deux formulations suivantes:
- «Pour écrire, t’utilise un stylo-bille ou un stylo-plume ?» => reflète un choix (d’usage)
- «T’as pas de stylo-plume ?» => reflète une possession (et pas forcément un questionnement sur l’usage)
C’est une question de conception des choses.
Oui, je pinaille, mais c’est important le vocabulaire… La fonction performative du langage, c’est pas une blague.
«T’as pas facebook ?» Non, fessesbook ne m’a pas :p
J’ai pris l’emblématique cas de Facebook, mais cela s’applique à Twitter, Instagram, Snapchat, etc…
Et dans une certaine mesure à Mastodon/Diaspora : contrôle des données, administration du serveur… même si c’est beaucoup plus facile de récupérer tout ça, d’influer sur la gouvernance (rien qu’en choisissant son instance, voire en l’hébergeant mais ce n’est pas accessible à tout le monde), c’est loin d’être idéal.
Le cas de Facebook me semble le plus représentatif. Surtout qu’avec la moitié de la population terrestre ayant accès à l’Internet qui utilise cette plateforme (oui oui), et beaucoup plus dans le monde «occidental», c’est rentré dans les mœurs comme la norme (d’autant plus chez «les jeunes»), c’est presque un objet de la vie courante, un compte Facebook.
Pour faire un parallèle, c’est un peu comme «avoir son permis» (ou une voiture). «Mais t’as pas le permis ? Comment tu fais ?»
C’est un passage (vu comme) obligé, qu’on s’en serve ou pas d’ailleurs…
Blague à part… «t’es pas sur Facebook ?» ?
(ceci est une autre histoire :))
Mes remerciements aux mastonautes qui ont enrichi l’ébauche de ce billet de leurs réactions 😉
Salut,
RMS milite pour qu’on utilise même pas l’expression « utiliser Facebook » mais plutôt « être utilisé par Facebook ». Facebook n’a pas d’utilisateur mais uniquement des « utilisés ». https://stallman.org/facebook.html
Tiens vu que ça déborde un peu de l’article initial, je vous propose un article sur ces médias sociaux alternatifs : https://framablog.org/2018/05/23/comment-reparer-les-medias-sociaux-et-faire-encore-mieux/ 🙂
Ça déborde carrément, mais c’est un débordement bienvenu 🙂
plot twist :
– t’as pas Mastodon ?
– non, mais je connais quelqu’un qui l’a et je me suis créé un compte dessus. ?
Ben moi, j’ai, na ! J’ai téléchargé mes données facebook, et c’est une expérience que tous ceux qui ont ouvert un compte devraient faire. C’est effrayant.
avant de quitter FB (ben oui ,avant je croyais que c’était mon ami )j’ai tout téléchargé aussi avant de tout effacer là bas, en surface.
Ben, ils ont des sacrés serveurs pour garder tout ça 😀
Qui ont d’ailleurs un coût écologique majeur… pour une utilité pour l’humanité… discutable…
Facebook c’est notre carnet d’adresse. Avant on disait tu as un email ou tu as internet.
Si on utilise pas facebook on ne communique plus avec nos proches. Les appli fédérés sont loin d’être aussi pratique. Tu utilise diaspora friendica ou mastodon mais tu as que des geek. Personne de nos amis qu’on connait.
Fait l’expérience ouvre un compte et ajoute uniquement les gens que tu connais….
Moi je l’ai fait et je suis tout seul.
En préambule, je précise que l’article ne partait pas sur la pertinence d’utiliser FB ou pas (même si on a bien compris mon avis sur la question), mais sur cette expression qui suggère que ça nous appartient.
> Facebook c’est notre carnet d’adresse.
Ce qui est à mon sens un problème. (dépendre d’une telle plateforme (sans maîtrise dessus) pour conserver son carnet d’adresse &co)
> Les appli fédérés sont loin d’être aussi pratique.
Ah si, le principal frein (pour communiquer avec les proches), c’est justement l’effet de réseau et que ces proches ne soient pas présent⋅es dessus, pas particulièrement l’outil.
> Si on utilise pas facebook on ne communique plus avec nos proches.
Je suppose que le « notre »/ »on » se réfère aux personnes sur FB ?
Sinon, je ne suis pas (du tout) d’accord, je communique sans problème avec mes proches autrement qu’avec FB. Ça ne me pose d’ailleurs problème uniquement quand ils/elles ne veulent pas passer par un autre outil (plus universel par exemple – oui le mail ça reste plus répandu 😛 ).
> Tu utilise diaspora friendica ou mastodon mais tu as que des geek. Personne de nos amis qu’on connait.
Bah si 😛 (j’ai compris l’idée, je montre juste un contre-exemple 😉 )
> Moi je l’ai fait et je suis tout seul.
On essaye de les faire venir ? 🙂 (oui je sais, facile à dire)
« t’as pas Facebook ?
– Désolé, je ne suis pas actionnaire »
Tiens, je suis pas d’accord que dire qu’on « a » sous-entend un contrôle/une maîtrise. Une possession n’est rien d’autre qu’une possession, y’a pas forcément de controle qui vient avec. Après, ok, la possession est pour le coup pas terrible-terrible, on possède pas grand chose avec Facebook x)
Par contre je suis d’accord pour dire que dire qu’on « a pas » sous-entend un manque 🙂
Et tu m’as coupé l’herbe sous le pied avec le mot de la fin, j’allais dire que dans la « vie courante », on utilise très peu le verbe avoir quand il s’agit de Mastodon. On utilisera plus le verbe être j’ai l’impression.
> Tiens, je suis pas d’accord que dire qu’on “a” sous-entend un contrôle/une maîtrise. Une possession n’est rien d’autre qu’une possession, y’a pas forcément de contrôle qui vient avec.
Il me semble pourtant que c’est ce qui est (inconsciemment ?) sous-entendu quand cette formulation est utilisée.
Tout comme quand tu parles des données personnelles (en comparant par ex. avec un service qui pompe des données sans qu’on ne le sache): «c’est pas pareil, je l’ai choisi».
Y’a une idée, un sentiment au moins, de maîtrise, de «si je ne veux pas/plus, je peux arrêter ça» (ce qui est en très grande partie faux, on ne peut qu’arrêter (partiellement) d’alimenter FB).
C’est une très bonne approche, ici, d’aller au plus proche de l’expression utilisée dans la vie courante. Article, par ailleurs, qui m’a donné plusieurs idées de réponses à donner à mes collègues (étudiants – en Lettres).
Une petite faute (enfin une que j’ai relevée) :
« il faut dire que chez les étudiant⋅es ont approche des 90% de »
*on
Expression :
« c’est rentré dans les mœurs »
Je dirais plutôt « entré » ou « passé », car « rentré » a un sens de revenir. Après, je ne sais pas si j’ai bien lu… à 1:44 forcément.
C’est surtout qu’elle me semble véhiculer beaucoup de choses, cette expression.
Tant mieux si ça sert 🙂
Merci pour la coquille 🙂 (faut que j’arrête de reformuler des moitiés de phrases ^_^)
Et pour l’expression, en effet c’est plus logique (même si apparemment on trouve les deux, rentrer n’as pas forcément le sens d’entrer à nouveau).